Jérôme Fidon : la fabrique des images
Au XXième siècle, Jérôme Fidon est sur une île déserte, celle d’un peintre fabricant d’images avec des tubes de peintures, des pinceaux, des crayons, un chevalet. Dans son atelier, les effluves de peinture à l’huile vous assaillent. Est-il de son temps ? La question peut se poser à l’entendre asséner « les peintres italiens de la Renaissance avaient trois règles : penser, architecturer, illustrer le sensible. Je m’applique à respecter ces règles. »
Il s’en fiche. Il a préféré se demander si « on peut peindre des portraits après Giacometti ou Bacon ; des paysages après Nicolas de Staël, de la peinture abstraite après Rothko ». Et dresse le bilan « j’ai macéré dans mon jus pendant une bonne vingtaine d’années en fournissant des kilomètres d’images qui ne méritaient pas de spectateurs ». Il a des mots sans complaisance pour cette première période peu ou prou abstraite : nombreuses sont les toiles qui furent détruites alors même qu’il avait été adoubé par des critiques d’art reconnus.
Aujourd’hui, celui qui se voit comme « un absurde clown en déséquilibre » parsème son univers figuratif très structuré -il a été architecte dans une vie antérieure- d’images empruntant à un bestiaire fourni qui contamine sa représentation des humains, notamment ses séries de têtes. Ses couples n’ont rien à envier à la Comédie humaine et aux figures grotesques du Moyen-Age. On peut imaginer, qu’à l’instar de Goya, il ouvre une boîte de Pandore chaque nuit. Les musées, surtout le Louvre et en Italie, seraient ouverts la nuit qu’il y installerait un lit de camp.
Les images de ses personnages errants dans les mers et les villes en ruine, ses « Pietas » hiératiques et admirables de douleur, ne sont pas destinées à « charmer les ignorants » mais en phase avec les questionnements picturaux et existentiels d’un artiste voulant embrasser le passé et son époque. Car s’il convoque implicitement l’histoire de l’art et l’actualité dans ses images c’est pour les inscrire dans une démarche de remise en cause permanente quasi obsessionnelle d’un artiste acharné au travail quotidien de son métier dans son atelier.
Pour lui, les références ne doivent pas occulter l’émotion mais la magnifier. Jérôme Fidon souhaite toucher un public élargi et sensible plutôt que des spécialistes et des théoriciens. Son écriture forte et exigeante, passe par l’humour, la dérision, la distanciation. La poésie aussi. Celle d’un moine soldat solitaire de la peinture, ennemi de toute imposture et posture dictée par le marché et les tendances.
Brigitte Camus Artiste/Auteure/Directrice de collection : lelivredart.com
Dernier livre publié « L’abécédaire impertinent de l’art d’aujourd’hui » avec Sophie Blachet et Georges Maisonneuve